Les mondes de la généalogie Colloque international d’Angers
Diffusions et transformations d’une pratique amateur à l’échelle
transnationale.
Séance 4 : Les généalogies et les institutions :
pratiques, ressources, histoires.
Intervenant : Charly JOLLIVET[1]
Se rendre dans l’Océan Indien, pour
un long séjour d’archiviste, c’est ce qu’à fait Charly JOLIIVET. Les Comores
sont constituées de quatre îles dont une administrée par la France : ce sont
les îles autonomes de Grande Comore (Ngazidja), d'Anjouan (Nzwani), de Mohéli
(Mwali) ainsi que Mayotte (Mahore) département français. L’étendue de ces îles
est de 2612 Km² pour 813.912 habitants. « Dans cette région du monde où
ancêtres et traditions occupent une place prépondérante, quand même l’écrit ne
s’est imposé que tardivement, on pourrait s’attendre à ce que la généalogie
suscite à minima, un intérêt. Et pourtant,
les services d’archives montrent une quasi absence de fréquentation par le
public de généalogistes. N’y a-t-il pas de réelles pratiques généalogiques ? »
Des freins multiples existent, la
présence de nombreuses îles est le premier exemple, les moyens de transport par
la mer, ne rendent pas les choses aisées. La partition des archives résultant
de l’indépendance de ces anciennes colonies complique encore la situation. Les ressources
d’archives conservées sont modestes et les politiques archivistiques menées
peuvent expliquer l’absence de généalogistes.
D’autres freins sont à chercher
dans le lourd passé colonial associé à l’esclavage et l’engagisme - l’engagé
volontaire, usage apparenté au servage est connu comme la « condition de
quiconque est tenu par la loi, la coutume ou un accord, de vivre et de
travailler sur une terre appartenant à une autre personne et de fournir à cette
autre personne, contre rémunération ou gratuitement, certains services déterminés,
sans pouvoir changer sa condition ». Aboli en 1848, il est devenu une
forme de salariat des travailleurs natifs des îles. Jusqu’en 1904, il
constituait la moitié de la population (Exploitation de vanille, ylang-ylang,
girofliers).
Le passé des ces îles dont le
peuplement remonte au 7ème siècle, est assez mouvementé et a
contribué à constituer une véritable société métissée. Les premiers habitants venus
d’Afrique étaient Swahilis de culture bantoue. Plus tard, les échanges commerciaux
maritimes avec le Moyen-Orient, en particulier la Perse et le sultanat d’Oman ont
apporté la langue arabe et l’Islam dans la région. Les îles ont conservé des
contacts avec la côte Africaine et Madagascar toute proche.
Au XVI siècle, les Comores sont fréquentées
par les navigateurs portugais des routes maritimes, il s’installe une période
de prospérité. Par la suite, de nombreuses rivalités politiques entre les
sultans amènent les Comores à s’appauvrir considérablement, il n’y a pas d’unification
possible. Règne alors, guerres, razzias, esclavagisme, engagisme.
La période post coloniale s’ouvre à la séparation de Mayotte
du reste des Comores, Cette île restera département français alors que l’union
des Comores fait partie de la Ligue Arabe (6 juillet 1975). Déchirements, haines
résultent de ces fractures.
Pourtant quelques travaux
généalogiques sont produits. En ces terres d’Islam la généalogie peut permettre
de conférer une forme de prestige, surtout si l’on parvient à montrer que l’on
descend d’un prophète et donner un aspect mythique à son origine arabe.
Etablir une généalogie aux
Comores ou à Mayotte peut s’avérer très compliqué. La présence de la polygamie
et les failles de l’état civil ainsi qu’un système de filiation spécifique
rendent les démarches complexes. Le patronyme ne se transmet pas forcément aux descendants.
Le système de filiation est matrilinéaire[i]
uxorilocal[ii]
dont le patrimoine est la maison familiale. Il n’y a pas de polygamie dans
cette maison. La cellule familiale est simple. La mère met au monde, élève et
nourrit ses enfants et marie aussi. La grand-mère élève un enfant, la mère peut
également confier un enfant à une sœur ou une belle-sœur stérile.
Les quelques pratiques de
généalogies connues, se font sur des forums, où l’on peut essayer de trouver en
ligne des renseignements sur les îliens.
La complexité à trouver ses
ancêtres est également due à la flexibilité de l’identité d’une personne. La
graphie n’étant pas fixée ni en nom ni en prénom, une lignée n’a pas forcément
le même patronyme.
Par exemple :
Lors de la demande d’un acte de
naissance supplétif, la commission des jugements supplétifs [iii]met
dix ans avant de statuer. Les changements de noms sont très fréquents.
Les archives Comoriennes représentent
plus ou moins cent mètres linéaires et 800 m aux Archives départementales. Il y
a production d’un triple Etat civil. Les archives se trouvent en France. Les
jugements supplétifs rendus par les cadis - Juges musulmans officiant civils se
trouvent à Mayotte et sont inscrits dans différentes langues et sont bien
explicites.
Finalement, le frein principal
est d’avantage l’intérêt des personnes pour la généalogie. Une société en
construction en mode survie va-t-elle rechercher ses origines ?
[i] Le
système de filiation relève du lignage de la mère, pour la transmission, la
propriété, les noms de famille.
[ii] L’habitat
uxorilocal est fait dans le voisinage ou dans le village des parents de l’épouse.
[iii] Décision
du tribunal qui demande une transcription lorsque celle-ci est inexistante.
[1] Docteur
en archivistique, Charly JOLLIVET est l’auteur de la thèse intitulée :
Archives, archivistiques et logiques d’usage dans les territoires issus de la
colonie de Madagascar de 1846 à nos jours. Naviguant entre les archives et la
recherche, il a notamment été en poste aux archives départementales de Mayotte
où des projets de coopération lui ont permis de renouer des contacts avec des
archivistes et chercheurs comoriens.
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