La production d’ancêtres : une fabrique culturelle comme les autres ?


Les mondes de la généalogie
Séance 2 : Faire et transmettre sa généalogie : statut et enjeux des connaissances

FONTANAUD Sandra[1]

« Le statut particulier de la généalogie au sein des pratiques culturelles et sociale est problématique depuis les années 1990. La généalogie est à la mode peut-on lire et entendre régulièrement. Pourquoi ? Peut-être pour son statut mal défini à mi-chemin entre histoire universitaire et loisir traditionnel, entre savant et profane, proche de l’histoire, mais dénigrée des historiens, loisir culturel certes mais principalement apprécié par les amateurs. »

On peut décrire quatre grandes périodes historiques pour la généalogie.


  1. L’arbre de Jessé. Il représente une schématisation de l’arbre de Jésus et est un motif fréquent dans l’art chrétien entre le XIIème et le XVème siècle.

Arbre de Jessé, avec Jessé assis. Arsenal Manuscrit 416 f°7

2. Les Beatus : Manuscrits du Xème au XIIème siècle. Abondamment enluminés, généalogie médiévale écrite

 
Grandes Heures de Rohan   Bibliothèque Nationale lat.9471 


3. La période où les filiations nobiliaires n’ont plus de raisons d’être. Il y a alors plus de généalogistes familiaux, dans le but de la transmission de la mémoire familiale, que de généalogistes successoraux.

4. Le boum des années ’70, voit naître des associations d’entraide et le peu d’intérêts des universitaires permet l’ouverture et une grande liberté. La généalogie se démocratise et fait son apparition dans les médias.  Ce sont souvent des personnes retraitées, âgées de plus de 70 ans, qui la pratique et dans les années ’90 elle devient un loisir incontournable. Elle donne prétextes à trouver, à chercher, à voyager. Les voyages sont organisés pour visiter les Archives Départementales et la région des ancêtres.

Dans les pratiquants on trouve d’abord deux groupes, les savants – gens instruits des techniques de recherches et les béotiens qui cherchent pour se distraire. Apparaît alors une 3ème catégorie, les entrepreneurs, se sont ceux qui créent des sites internet, mettent des outils à disposition des autres. Dans la manière de procéder, on trouve des exclusifs, qui ne recherchent que leurs ancêtres par exemple en suivant une lignée patrilinéaire et des historiens ceux qui vont chercher les recensements, la vie, l’histoire de façon plus globale.

Sandra FONTANAUD décrit plusieurs catégories de généalogistes dans sa thèse des années 2008-10
  •    Le compulsif ou exclusif : Il ne vit que pour et par la généalogie. Il part en vacances, s’il part en fonction du temps consacré à son loisir. Quand il a terminé sa généalogie, il lui arrive de faire celle des autres.
  •  Le collectionneur : Il essaye de trouver le maximum de parents, s’équipe de tout ce qui est  nécessaire, ordinateur, scanner, appareil photos etc.
  •  L’historien de la famille : Il cherche à la retraite à reconstituer l’histoire familiale à une fin de transmission. Il lui arrive de construire des outils comme un convertisseur de dates, il écrit des articles, Il constitue ce qu’on appelle un début de fond d’archives. 
  •   Celui qui a juste un passe-temps : Il s’agit d’un simple loisir qu’il prend de manière très sérieuse, mais n’en oublie pas moins ces propres loisirs.

Ce travail amateur est une pratique récente de l’appropriation de l’histoire par les populations. Elle cherche à recréer une identité familiale, culturelle. Souvent les généalogistes sont issus de la classe moyenne, enseignants primaires ou de milieu ouvrier ou agricole, n’étant pas allés à l’école. Ces autodidactes, prennent leur revanche sur la société qui les avaient mis à l’écart. Leurs travaux permettent de valider leur espace social, de compenser le maintien d’un milieu social modeste. 




[1] Sandra FONTANAUD, docteur en sociologie est ingénieure au CURAPP-ESS, une unité mixte de recherche de l’université de Picardie Jules Verne d’Amiens, spécialisée en science politique et sciences sociales.

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