Conceptions communes sur l’identité, l’ascendance et le passé historique dans les pratiques généalogiques nord-américaines contemporaines


Les mondes de la généalogie Colloque international d’Angers

Diffusions et transformations d’une pratique amateur à l’échelle transnationale.
Séance 3 : Nouvelles pratiques de la généalogie et conceptions de la parenté

Intervenant : Caroline-Isabelle CARON[1]


« Depuis une vingtaine d’années au Québec, en Acadie et plus largement en Amérique du Nord, la pratique de la généalogie -et les concepts qui nourrissent ses méthodes et ses représentations- a grandement changé de ce qu’elle était au XXème siècle. Aujourd’hui tout chasseur d’ancêtres dispose d’une large panoplie de ressources électroniques en ligne, s’il a accès à internet …et à une carte de crédit. La prolifération des tests personnels d’analyse ADN a ouvert la voie au retour de la génétique dans la généalogie et aux inquiétudes que ce fait soulève, alors même que l’eugénisme avait heureusement été rejeté en masse au milieu du siècle dernier. L’imaginaire généalogique actuel a des conséquences très réelles sur la création de la mémoire collective dans un contexte où l’ADN est souvent considéré comme plus « fiable » et plus « scientifique » que les documents d’archives. Malheureusement, l’objectivité attribuée à la génétique permet le même type d’erreurs que la gymnastique documentaire privilégiée par moult généalogistes depuis des siècles. A l’instar de Darryl LEROUX et Kim TALLBEAR, on ne peut que constater que la généalogie actuelle au Québec et en Acadie permet de dangereux dérapages. Les questions de la race, du nationalisme de droite et de l’eugénisme font à nouveau voir leurs têtes d’hydre, alors même que de nombreux Acadiens et Québécois s’inventent des ancêtres autochtones pour confirmer la grandeur de leur peuple respectif. »

Nous assistons à une nouvelle période qui est celle de la transformation de la généalogie et des mots ancêtres.  Le généalogiste des années 1890 professionnel ou amateur étaient surtout intéressé par la recherche de noblesse ou de preux et pieux pionnier avec un attrait marqué pour l’ancêtre Anglo-protestant, ce qui montrait une option pour l’eugénisme, l’atavisme d’une bonne naissance.

La deuxième guerre mondiale montre un déclin de cette orientation, et vers les années ’70, on voit apparaitre un tournant vers l’identité de l’ego. La recherche est obsédée par l’ancêtre noble, le grand homme et donc le côté héroïque hérité de ces ancêtres. On se met à rechercher le meilleur ancêtre, par centaines si possible. L’identification se fait par papiers, par communication, on est entré dans une nouvelle période, celle du super héros.

Entre 1900 et 2000, rien n’a changé finalement. Ces définitions sont encore de fait, et pourtant une deuxième vague post deuxième guerre mondiale, s’annonce. Internet envahit les foyers et les gens l’investisse.  Les réseaux sociaux créés vers les années ’90, les bases de données sont de plus en plus en ligne officielles ou privées. En 1996, Ancestry.com (ancestry.fr n’est venu qu’ensuite) a un interface gratuit qui propose à un homme moyen blanc de trouver ses aïeux en quelques secondes. L’échange d’information se fait par les pixels et non plus par le papier, l’approche est donc différente.

Dans cette opération de marchandising en généalogie, l’ancêtre est le produit à vendre, valoriser et il contribue à recruter le plus de clients potentiels. Actuellement Ancestry DNA, la base ADN touche 7.000.000 de clients. L’arrivée sur le marché de MyHeritage et 23andme, contribue à gonfler les chiffres. Fournissant une analyse succincte avec une marge d’erreur, dont on peut en effet trouver l’explication mais en cherchant bien sur leurs sites. Ceux-ci encouragent leurs clients à utiliser leurs objets commerciaux. L’ordinateur individuel semble le moyen trouvé pour solutionner les absences de réponses dans les archives. Le public était dans l’attente de cette généalogie par l’ADN.

Par le passé, l’atavisme était inévitable et les recherches le prouvait sur papier avec un supplément d’âme. Actuellement, l’ascendance est la masse totale de tous les ancêtres révélés par les gênes, il y a donc « vérité scientifique ». L’atavisme est en ego et donc vivant en soi. Il y a affirmation : la science ne ment pas, la saga familiale peut être fausse.

Ces changements sont dus à plusieurs facteurs : Le travail en réseau par la création de bases de données par les utilisateurs avec erreurs et lacunes et absence d’ego. La volonté de retrouver la parenté perdue. L’agrandissement de cette notion de parenté du fait du partage d’ADN. En généalogie descendante, les ancêtres sont des fournisseurs de jeunes.

Un changement s’opère également car les présomptions ataviques sont revenues en force. L’attribut ethnique est recherché pour justifier ses ancêtres. Malheureusement, il s’agit d’une dérive politique, en Nouvelle Ecosse, au New Brunswick et au Québec, des individus de l’extrême droite montante utilise l’ADN pour tenter de prouver l’existence de gênes amérindiens, ceci dans le but d’utiliser les droits ancestraux sur les terres, la pêche. Peu importe comment, ils ont reçu ce bagage génétique, il y a un désinvestissement complet de leurs ancêtres et la saga se construit autour d’une histoire de viol.

Le mode traditionnel de la généalogie qui construisait une histoire a basculé vers: l’histoire c’est construite car l’ADN nous tombe dessus. 





[1] Caroline-Isabelle CARON se spécialise dans l’anthropologie historique de la culture populaire francophone en Amérique du Nord aux 19 et 20èmes siècles. Elle s’intéresse d’une part aux conceptions du futur sous la forme de la science-fiction et de la fan fiction et d’autre part aux rapports du passé sous la forme des commémorations, des légendes et de la généalogie. Elle aspire à approfondir l’encyclopédie collective québécoise et acadienne.

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