De la démocratie généalogique en Amérique

Les mondes de la généalogie - Colloque international 2019 Université d’Angers
Diffusions et transformations d’une pratique amateur à l’échelle transnationale.

François WEIL[1] :

Une première période coloniale

L’idée de la dénomination de la généalogie au 18ème siècle est différente aux Etats-Unis d’Amérique et elle est en réalité bien différente d’une pratique généalogique démocratique. Dès la fin du 18ème siècle en legs de l’époque coloniale britannique, la généalogie se fait pour deux raisons :
  •    La justification d’un statut social, par ex : les descendants drapiers de Virginie. L’arbre construit pour justifier de ce statut social est un faux, peu importe qu’il soit fabriqué et issus d’un pseudo monde aristocratique, l’importance est la distinction. 
  •  Une logique familiale. Il existe des centaines de lignage chez les petites gens (par opposition à ce monde « aristocratique ») qui ont été laissés dans la Bible familiale, en Nouvelle Angleterre et en Pennsylvanie. Cette Bible est transmise précieusement aux descendants pour la continuité de la mémoire du lignage. On retrouve cette culture de la mémoire du lignage chez les esclaves, mais il s’agit alors de mémoire orale.

Cette attitude pose un gros problème dans la nouvelle république qui se veut égalitaire, la généalogie de distinction, devient difficile à rendre publique. Georges WASHINGTON 1732-1799 1er Président et Thomas JEFFERSON  1743-1828 3ème Président avaient un arbre mais ne voulait pas le confesser à cause de leur connotation aristocratique.

Par la suite, entre 1800 et 1860 (généalogie républicaine) on cherche à trouver des justifications ou légitimation de cette pratique, on utilise alors la mobilité vers de l’Est vers l’Ouest et donc l’extension des lignées familiales.

Le début du 19ème siècle ressemble davantage à un mouvement plus démocratique :  des gens ordinaires pouvaient prétendre aux postes plus élevés.

Le général Ulysses GRANT 1822-1882 18ème Président des EU, est issu d’une famille modeste d’ouvrier. Le grand-père est un petit tanneur des années 1820, provenant de Pennsylvanie, il entretenait une correspondance de lettres et ceci devient une stratégie géopolitique considérable à l’époque. Abraham LINCOLN 1809-1865, juriste de profession est en réalité un self-made man, issu d’une vague tradition quaker, et ces gens recherchent leur information d’origine dans la mobilité géographique. Les premières réunions de familles organisées ont lieu vers 1840 – 1850, elles font se rencontrer des centaines de personnes, par ex : patrimoniale en réunissant tous les GRANT.

Le métier d’antiquaire, généalogiste, historien, commence vers 1820. John FORMER est un des premiers à avoir créé une généalogie et la première publication d’un registre. Ceux-ci sont des pseudos scientifiques qui ont recours aux archives existantes sur seulement 4 ou 5 générations.

Dans la classe moyenne, c’est l’engagement des femmes dans l’écriture d’ouvrages (d’histoires, de femmes) qui leur permettra d’être les conservatrices de la mémoire familiale. On les nomme les « Record Keeper », ainsi le poète et philosophe Ralph Waldo EMMERSON 1803-1882, fils d’un pasteur mort alors qu’il n’avait que 8 ans, a été élevé par des femmes dont sa mère et sa tante Mary Moody EMMERSON écrivaine et diariste, celle-ci était la « Record-Keeper ».  Ce rôle était souvent dévolu à la tante qui ne se marie pas.

En Nouvelle-Angleterre des centaines de femmes brodaient des arbres généalogiques afin d’assurer la transmission.

Reste la difficulté de trouver des preuves de sa généalogie. Benjamin FRANKLIN 1706-1790, père fondateur des Etats-Unis essaye de trouver des traces de sa famille mais ne peut remonter à plus de deux générations.

En dehors de ces gens modestes restent les anciens coloniaux, souvent des parvenus, tous prétextant être descendants du Mayflower (Premier navire à avoir déposé des colons à Cap Cod en 1620, ils furent ensuite les fondateurs de la ville de Plymouth au Massachussetts – Nouvelle Angleterre), pour établir leur généalogie, il leur suffisait de se rendre dans une officine d’antiquaire et en fonction de la quantité de monnaie déversée, l’arbre s’enrichissait lui aussi de noms importants.

La période de la guerre de Succession jusqu’à la deuxième guerre mondiale, voit comme dominante la pratique racialisée de la généalogie uniquement sur les blancs par rapport aux autres. Parmi les blancs, certains le sont plus que d’autres. Un antiquaire moyen dessine donc une élite raciste. Celle-ci peut être réalisée par une généalogie anglo-saxonne, par les migrants venus d’Angleterre, dans laquelle on sépare encore angles et saxons. Le paradoxe de cette pratique est que bien que racialisée cette généalogie est « démocratique » dans le sens où elle est pratiquée par des milliers de personnes, dans le but de prouver qu’elles ont des origines supérieures à celles d’autrui.  Ceci continue à nourrir un modèle économique américains qui se fait sur mesure en fonction des prix.

Les migrations sont motifs à cette généalogie racialisée. Les huguenots de Californie, les irlandais, les juifs et ceci jusqu’à la fin du 19ème siècle.  Il y a eu prolifération de fausses généalogies, fabrication de généalogie d’entreprise publique qui furent arrêtées par le FBI mais l’arbre est resté dans les familles et donc il contribue à cette légende familiale persistante.

Un deuxième moment démocratique


Vers 1840, l’intérêt des Mormons leur fait envoyer des missionnaires portant des manuels d’éducation, le rôle de femmes est déterminant, des réunions de familles sont organisées créant une sociabilité familiale.

Troisième moment démocratique jusqu’à l’heure actuelle


La légitimité antérieure disparaît à cause de la deuxième guerre mondiale et l’holocauste. Une injustifiable racialisation apparaît. Les associations ont changé de dynamique et se transforment vers l’ouverture générale et multiculturelle, multipopulaire, multiraciale. Une grande demande d’accès à la ressource archiviste apparaît et se rapproche de la pratique européenne plus tournée vers des questions d’héritage, mémorielles ou patrimoniales.


Alex HALEY publie Roots en 1976 sur l’histoire d’une famille afro-américaine, de l’époque de l’esclavage à l’époque contemporaine. Traduit en français Racines, Ed J’ai lu. Il s’agît d’un roman à base d’une saga familiale, s’il a inventé une partie de ses ancêtres, il a permis de légitimer des recherches généalogiques pour tous. Ceci permet d’écrire l’histoire du pays sans passer par les paroles des élites. Elle permet de passer du bas vers le haut et d’être probablement plus attentifs aux détails de l’histoire.
                                                                                                           

Par la suite, la généalogie entre dans l’ère du business : des millions de dollars sont en jeu et un changement d’attitude marque le marché généalogique. Cet enjeu existait déjà au niveau américain, comme on a pu le voir et c’est grâce à leur savoir faire qu’ils envahissent le marché européen qui ont mi du temps à suivre.




[1] François WEIL est professeur associé à l’EHESS. Ses recherches ont porté sur l’histoire sociale de l’industrialisation américaine, sur l’histoire des mouvements migratoires dans l’espace atlantique et nord-américain et bien d’autres. Son dernier livre est Family Trees : a History of Genealogy in America (Cambridge, Mass : Harvard University Press, 2013)







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