Une histoire de Noël


Mon âme d’enfant aime particulièrement les fêtes que l’on célèbre par des contes, autant Pâques, que Saint Nicolas et celle de la Nativité. Il y a peut-être là un certain atavisme, avoir entendu raconter les récits familiaux, leurs a donner une charme supplémentaire. Alors voici une histoire, qui raconte comment je descends du père NICOLAS et aussi du père NOËL, les deux à la fois et elle est certifiée authentique.

L’année s’est écoulée et décembre est arrivé, les enfants comptent les jours sur les doigts de leurs petites mains. Entre Ardennes et Gaume, depuis la Toussaint, les petits s’emmitouflent d’écharpes, de gants et de bonnets, les chaussures sont trempées car sur les routes humides, l’eau pénètre jusqu’à leurs petits orteils et les gèlent.
Sur le chemin de l’école, matin et soir dans le noir, les grands leur expliquent pourquoi de longues trainées roses ou oranges couvrent le ciel certains jours. Un événement important est en préparation, Saint Nicolas a allumé ses fours, pour préparer les délicieux biscuits couverts de sucre glacé de toutes les couleurs. Le grand Saint est le premier à ouvrir les festivités de cette préparation de Noël, car en décembre tous les jours sont sacrés.

L’autre matin, à l’église, le premier cierge de l’Avent a été allumée par le prêtre. Les petits ont compris que l’on se rapprochait de leur fête, celle où ils seraient gâtés par leur Saint, alors, dès la sortie de la messe, ils se sont mis à chanter:

Ô grand Saint Nicolas, patron des écoliers,
Apportez-moi du sucre dans mon petit soulier.
Je serai toujours sage comme un petit mouton,
Je dirai mes prières pour avoir des bonbons.

Venez, venez Saint Nicolas!
Venez, venez Saint Nicolas!
Venez! Venez Saint Nicolas!
Et tralala!

Et de chanter les tralalas en s’accroupissant et tapant des mains sur les genoux. La chanson, dite à tue-tête, montant de ton à chaque reprise.

NICOLAS un nom de famille


Lucie, née en 1911, n’était pas en reste pour chanter, surtout qu’elle avait une bonne raison de croire qu’elle aurait sa part de jouets. Évidemment quand on s’appelle NICOLAS, ont y croit plus fort que tous les autres.

- Tu peux chanter pour moi aussi, lui demandait sa copine de classe. Ton papa, il a des moustaches comme Saint Nicolas, il est de sa famille?
- Oui, oui, répondait, Lucie, innocente de la vérité derrière le conte.

Pendant ce temps, sa mère Victoire ROBLAIN (1881-1960) et son père Émile NICOLAS (1877-1946) préparaient dans le plus grand secret, les poupées de chiffons que le grand Saint apporterait dans l’assiette que Lucie aurait posé sur la table de la salle à manger, même ses petites sœurs  encore bébés seraient gâtées. Elle y placerait aussi un verre de lait pour le Saint et une carotte pour l’âne, celle-ci serait croquée et des traces de dents prouveraient qu’il était bien descendu, très mystérieusement dans la salle.

Et pourtant, la première guerre mondiale, faisait résonner ces canons du côté de Verdun. Lucie avait 3 ans en 1914 et donc 7 ans à la fin de la guerre. Heureusement, ces parents avaient songés à préserver autant que possible,  leurs petites de toutes ces horreurs. La vie était dure, mais Victoire avait de la famille en ferme, ils ne manquaient de rien.

Ainsi s’approchant du 6 décembre, les enfants devenaient de plus en plus sages, car la menace du Père Fouettard, les inquiétaient énormément. Cet homme avec un drôle d’habit, et un martinet à la main, avait la réputation de punir les enfants désobéissants.

La joie du matin du 6 décembre résonne encore dans les maisons à l’heure actuelle. Le réveil était rapide ce matin là, il fallait immédiatement vérifier qu’il était venu, remplissant, les assiettes de biscuits colorés, de noix, noisettes, amandes, mandarines et oranges, chocolats à l’effigie du Saint, pièces d’or en chocolat, pain d’épice, couques de Dinant au portrait du Saint et joujoux. Les massepains représentant les cochons roses, les pommes de terre, pêches, oranges, et pommes rouges étaient aussitôt croqués.  Les yeux émerveillés des enfants était remplis de paillettes, l’excitation était à son comble.  Lucie, ne manqua pas de crier au pied de l’escalier, un grand : Merci, Saint-Nicolas!

Les jours qui suivirent furent essentiellement consacrés à la découverte des nouveaux jeux. Et puis, L’Avent vit passer la Sainte Lucie, le 13 décembre,  décidément, elle en avait de la chance, une fête rien que pour elle!

A l’approche de Noël, le curé égrenait le temps qui se rapprochait de la fête chrétienne. Il rappelait, que c’était une fête de partage et d’accueil de l’étranger qui cherche refuge pour la nuit. Narrant encore, l’histoire de Joseph et Marie enceinte partis rejoindre Bethléem pour être recensés, cherchant vainement un logis. Qui frappant à toutes les portes et se voyant refuser tout hébergement, et finissaient par trouver une crèche pour y passer la nuit. Là, où Marie, mit au monde l’enfant-Jésus. Il contait aussi, l’histoire mystérieuse des Rois Mages découvrant l’étoile du Berger qui leur indiqua le chemin pour apporter les présents, or, myrrhe et encens à cet enfant-Roi nouveau né.

Au retour de la messe, Lucie voulut à tout prix construire la crèche. Mais les parents n’étaient pas d’accord, en effet, il fallait attendre les dernières jours, car le sapin allait perdre ses épines et ne ressemblerait plus à rien. Sa patience était mise à rude épreuve. Noël c’était la fête des grands, les petits recevaient souvent des mouchoirs ou un cadeau utile, mais la préparation des repas et des bonnes choses à manger l’ enthousiasmait. Même en temps de guerre, on est capable de faire la fête avec peu.

Le calendrier de l’Avent annonça le dernier dimanche avant Noël, une grotte fût fabriquée en chiffonnant du papier brun, les santons de plâtre tirés de leur carton, furent placés dans cet abri sous le sapin. On y déposa Joseph, le charpentier, Marie avec sa robe bleue, l’âne et le bœuf et rien d’autre, il fallait respecter le déroulement de l’événement. On mettrait le petit Jésus le 25 décembre pas avant, et les rois mages étaient loin de la crèche, ils progressaient lentement comme les bergers et n’arrivaient qu’à l’épiphanie, le 6 janvier.

NOËL, une famille dont le plus ancien est né un 25 décembre!


Dans la famille, Lucie appris très tôt que son grand-père s’appelait NOËL, elle en était fière, et ses compagnons d’école avaient du mal à y croire.

-  Deux chez toi et rien chez nous, ce n’est pas juste! Tu as NICOLAS et NOËL!
- Je suis très sage, répondait-elle avec toute l’assurance de ces six ans.

Marie Catherine Victoire ROBLAIN, la mère de Lucie et mon arrière-grand-mère était la sixième d’une fratrie de dix enfants, son père s’appelait Pierre Joseph ROBLAIN (1842-1912), sa mère s’appelait Marie Marguerite NOËL, (1845-1910). Victoire dont le prénom a été préféré après la victoire de 1918,  avait épousé Emile NICOLAS le 10 août 1910 et malheureusement perdu sa mère vers cette année là. Si bien que Lucie, ne connu pas sa grand-mère.

Marie Marguerite descendait d’une longue lignée de NOËL, provenant du Luxembourg, dont les changements politiques, les ont fait tour à tour français, luxembourgeois, autrichiens et puis finalement belge.

Son père, était Jean Baptiste NOËL (1816-1862), et sa mère Marie Marguerite GERARD ( 1820- 1885)

Son grand-père, était Jean François NOËL (1776-1844), et sa grand-mère Marguerite FINEUSE (1780-1804)

Son arrière-grand-père était Pontian NOËL, né le 25 décembre 1748 à Habaru, Léglise, Luxembourg, Pays-Bas autrichien (à l’époque) et décédé le 10 février 1815, son arrière-grand-mère était Marie Françoise BOSICARD (1749-1818)

Son arrière- arrière-grand-père était Jean NOËL en résidence à Habaru, en 1766 et marié avec Madeleine JACOB.

Nous perdons ensuite la trace du père NOËL, qui je n’en doute pas vient du Nord, les recherches sont encore en cours et Rodolphe le renne, m’aide à transporte le courrier sur les voix impénétrables du net.

Les petits commentaires inscrits dans cette histoire m’ont véritablement été racontés par ma grand-mère Lucie NICOLAS. Comment voulez-vous que j’oublie mon âme d’enfant?  Je vous laisse, je vais préparer les biscuits au gingembre et les pains d’épices… Les mains pleines de farine, je vous souhaite un très joyeux Noël à tous.

Généalogie : NICOLAS, NOËL, ROBLAIN, GERARD, FINEUSE, BOSICARD, JACOB

Le goût du passé familial : pratiques de commémoration et appartenances.


Les mondes de la généalogie - Colloque international du 24-25 janvier 2019 Université d’Angers
Diffusions et transformations d’une pratique amateur à l’échelle transnationale.

Benoît de L’ESTOILE[1]

La définition de familles est différente selon le contexte dans lesquelles elles évoluent, nous verrons ici trois zones du monde complètement différentes, le Bénin, le Brésil et la France.

Un pays d’Afrique où la mémoire de lignée est capitale pour les souverains.


Au Bénin, découvert en 1730, par le Portugais E. de CAMPOS qui renomme la ville d’Adjatché en Porto-Novo, les arbres familiaux sont complexes. Dans ce royaume de Porto-Novo ancien se trouve deux rois qui vivent dans des palais différents et très modestes, l’un gouvernait le jour et l’autre la nuit. Les fonctionnaires royaux étaient soumis à pression et devaient produire un art à la gloire du souverain et de ses hauts faits d’armes. La mobilisation pour la présentation est importante. Les clans sont nommés et regroupe les ascendants des dynasties royales de chacun des rois. Le culte est présent dans chaque acte de la vie.

En 1874, Toffa (1850-1908) prend le pouvoir et son règne est marqué par une alternance de conflits et d’alliances avec ses voisins militairement puissants et expansionnistes -les royaumes du Dahomey, d’Angleterre et de France. Les conflits sont alimentés par les rivalités de connaissance des dynasties passées où abondent du matériel historique et cognatique (Se dit d’un mode de descendance ou filiation passant aussi bien et indifféremment par les hommes que par les femmes.)

La transmission du trône se fait par confirmation de la légitimation de l’individu. L’utilisation de la temporalité est permanente. La référence aux ancêtres défunts l’est également, dans la maison mère, un espace est habité par le présent et un autre par les défunts. Il y a saturation du quotidien par le passé.

nr : Pour en savoir plus sur l’histoire du Dahomey –Bénin

En Amérique latine, le Brésil montre peu d’intérêt pour les lignées.

Au Brésil -terrain d’étude, on rencontre peu d’intérêt pour la mémoire en général, s’il y en a, on ne remonte pas plus loin que trois générations. S’il existe un album familial, il sera plutôt vu comme intéressant pour la photographie et non pour l’histoire familiale. L’intérêt familial se fait peu pour les cousins et au-delà il faut demander aux parents qui est qui.

Les personnages plus importants ont pour certains une généalogie écrite par d’autres. On peut trouver en ligne un début de généalogie de J. A. WANDERLEY (1815-1889) Premier baron de Cotegipe, Premier ministre du Brésil, sénateur et Grand de l'Empire. Descendant de nobles hollandais émigrés au Brésil au XVIIe siècle. Par ex sur ce lien 

La société brésilienne cultive les liens familiaux de manière à s’apparier avec les différentes émigrations. Elle va également tenter de se légitimer selon leur désir d’approprier des zones foncières. Il émerge une communauté des individus dont l’histoire est l’ancêtre fondateur - ancêtres esclaves venus d’Afrique sans pouvoir parler de généalogie. Ce qui importe ici est la saga familiale ou la saga des migrations esclavagistes.

Le goût du passé familial des français


En France, dans les vieilles familles Briardes de la ville de Meaux (Seine et Marne), il existe des sociétés savantes d’histoire locale, avec des obligations statutaires, donc bien organisées. « Se désintéresser de cette histoire c’est renoncer à cette histoire ».
Les liens ont été amenés par la terre. Un homme écrivait l’histoire de sa famille et en binôme écrivait l’histoire de la terre. Ces sociétés savantes ont une dynastie établie par l’ancienneté dont ils disent « Nous notre noblesse, c’est l’ancienneté ». Les gens de Meaux occupant le château l’on racheté aux nobles et n’ont donc pas d’arbre généalogique, mais clame que leur arbre est le cimetière -dans la terre.

Anecdote : Un maraîcher retraité, protestant de père en fils, habitait la même maison depuis le XVIIème siècle. Le drame personnel de cet homme était qu’il n’avait qu’une fille qui de plus se maria avec un catholique. Pour cet homme, cette rupture de lignée correspondait à une perte de soi et le rendait dernier des Mohicans de ces vieilles familles, il était le vieux du faubourg. Si l’histoire familiale restait privée, l’histoire publique était dite.

L’arbre généalogique constitue une ligne de vie et en plus de cela cet homme a constitué un musée personnel avec chaque objet typique de ces cercueils -trésors familiaux qui matérialisent son ancienneté. Il a monté une conservation des outils du travail maraicher et des protestants de Meaux.

Une grande réunion familiale autour de la première guerre mondiale

 

L’histoire de la famille ne peut être constitué de faits désagréables alors qu’elle cherche à ne garder que quelques faits honorables qui seront rendus publics. Les commémorations de la première guerre mondiale ont été l’occasion de ramener des souvenirs pour les représentants d’une famille et de mélanger histoires familiales et histoire publique.

Le centenaire de la mort de Louis a été l’occasion d’une grande réunion familiale. Louis l’ancêtre a eu six enfants et quatre cent cinquante descendants, à l’appel des commémorations de 14-18, cent dix-sept répondirent présents, deux absents pour raisons de santé. Les adolescents présents à cette réunion découvrirent les combats, Verdun, la famille dans son sens large.

Lors de cette journée, les lignées descendantes sont représentées par quatre couleurs, chacune attribuée au fils -ancêtre faisant la jonction avec Louis. Une présentation est faite de l’ensemble de la généalogie entre 1200 et 2000. L’on s’aperçoit qu’il y a des descendants soldats, pour la patrie et les honneurs, des descendants religieux dont un qui a été ethnologue avant de devenir prêtre, on peut également constater l’alliance entre l’aristocratie et la bourgeoisie.

Après un repas où chacun a été libre de se placer, une réunion est prévue au cimetière de Fleury devant Douaumont (Meuse). Il est alors fait un discours où l’on parle de mort sacrificielle et où le temps s’écrase entre 1914 et 2014. Une messe commémorative au descendant, prêtre catholique évoque la transmission de la prêtrise en plus de celle des armes.

Cette généalogie familiale est tenue à jour par un vieil oncle qui structure ainsi la famille. Souvent la fille non mariée tenait à jour les histoires familiales. Dans la saga familiale, l’épouse de Louis devenue veuve acheta une maison dans le Jura. L’été était l’occasion de retrouvailles entre cousins. On peut ainsi comprendre le rôle des maisons de famille dans toute la structuration. Le sens de la mort du centenaire est de réunir les parents par familles descendantes, ce qui fait exister la famille élargie. Ceci donne aussi une affirmation : la force de la continuité, alors même qu’il y a appauvrissement de certaines branches ou départs internationaux.

Conclusion :
Tout ce travail souligne ces différentes pratiques qui reproduisent l’appartenance et dont les descendants seront existants et décrirons la famille.

L’existence d’un lieu familial, même ancien, la commémoration d’un ancêtre, décrit un mode d’appartenance. La généalogie est une des formes de transmission de ce passé, il reste un outil.

La généalogie anthropologique est différente de la généalogie familiale. La variabilité des mémoires et de l’usage qui en est fait ont été décrites au Brésil et au Dahomey - Bénin. 





[1] Directeur de recherches au CNRS, Centre Maurice Halbwachs, professeur d’anthropologie à l’Ecole Normale Supérieure.
Conférence dans le cadre du Colloque international du 24-25 janvier 2019 Université d’Angers
Les mondes de la généalogie Diffusions et transformations d’une pratique amateur à l’échelle transnationale.
Le goût du passé familial : pratiques de commémoration et appartenances.


JRI POLAND ou l’archivistique généalogique juive virtuelle


Les mondes de la généalogie Colloque international d’Angers
Diffusions et transformations d’une pratique amateur à l’échelle transnationale. 

Séance 3 : Nouvelles pratiques de la généalogie et conceptions de la parenté

Intervenant : Virginie WENGLENSKI      Mise à jour par la conférencière


La découverte du décès d’arrières grands parents polonais à Auschwitz fût le début d’une aventure généalogique menant au métier d’archiviste. Établie à Montréal depuis 2000, l’adhésion à la Jewish Society of Montréal (JGS-Montréal), concepteur du site Jewish Records Indexing- Poland (JRI-Poland) devint une nécessité.



Les recherches d’une généalogie juive polonaise en Europe de l’Est sont particulièrement difficiles pour diverses raisons bien connues. 

Les persécutions et les expulsions depuis des siècles, les migrations de pays en pays, les exactions ; les changements incessants de frontières ; les registres mal tenus (on peut mettre des jours, des mois, voire même des années avant de déclarer une naissance, un mariage ou un décès). On peut toutefois compter sur les recensements (qui permettent de taxer les communautés juives) … mais uniquement pour les hommes. En Russie, on change de nom pour éviter un service militaire de 25 ans. Les noms de famille symbolisent souvent une ville (ex : Piotrkow-Trybunalski devient Piotrokowski). Ils peuvent être mal orthographiés : erreur de transcription lors d’immigration, cas d’analphabétisme fréquents, homonymes…


Pour finir la Shoah qui a créé une véritable fracture abyssale dans et entre les individus. Beaucoup de documents ont été détruits par les nazis (processus génocidaire) mais aussi par les personnes juives (peur d’être identifiées, bon combustible pour se réchauffer…) Il y a la période avant et après la Shoah.

Si l’on prend l’exemple d’une généalogie de la troisième génération descendante soit les petits-enfants, la perte des membres de la famille a pu laisser les parents - qui étaient alors des enfants - muets sur la mémoire familiale, il est alors difficile de se construire un arbre sans ces références mémorielles.  De plus, le phénomène est bien connu, les gens ayant vécu de grandes souffrances restent silencieux sur cette période trop grave. Comment interroger sans témoins. Comme savoir qui étaient les grands-parents, comment faire des recherches sans savoir s’il est seulement possible de retrouver leur trace d’autant que la mémoire intergénérationnelle laisse un vide immense, un trou béant.


Un exemple concret de recherche nous est présenté et il met en évidence la complexité de ces recherches. La recherche s'effectue du côté paternel dont le pays d’origine est la Pologne.

Dans ce cas, la mémoire familiale raconte que les grands-parents ont été déportés sans plus de précision. Le fait connu est : ils ne sont jamais revenus. Un début de piste pourrait être le Mémorial de la Shoah, la liste des noms des personnes disparues dans le génocide de la seconde guerre mondiale s’y trouve et effectivement les grands-parents sont bien cités. Leur nom et la date de leur disparition 23/07/1943 à Auschwitz. Nous avons donc maintenant la structure familiale qui s’agrandit avec des noms complets, des dates et des lieux de naissance. L'accès à leur dossier de naturalisation va nous amener plus loin.

Il suffirait d’entreprendre des recherches en Pologne, si possible…

Mais on se heurte à plusieurs problématiques : l’état civil n’est obligatoire qu’à compter de 1808 pour les juifs et les noms de famille ne leur seront imposés qu’à partir de 1821. L’histoire mouvementée du pays rend les noms de lieu très versatiles (slave, germanique). Il existe plusieurs villes ayant le même nom (474 x Piaski, 290 x Katy…). La mouvance des frontières impose parfois des recherches « internationales » en deux langues (polonais et russe). Le cas de Dubno, anciennement en Pologne et maintenant en Ukraine est représentatif. 


JRI-POLAND, organisme Montréalais a été créé en 1995 pour permettre de retrouver ses ancêtres, identifier de la famille victime de la Shoah, retrouver des membres à des fins médicales... C’est une immense base de données entièrement gratuite qui indexe des noms, des années, des types d’actes et renvoie généralement vers le site des Archives nationales polonaises, les microfilms des Mormons d’autres partenaires pour accéder à l’acte. Mais il y a bien plus que des références à des documents d’état civil.

Une recherche sur ce site a permis de retrouver l’acte de naissance de la grand-mère, il est en russe et grâce à l’aide de bénévoles, il est aussitôt traduit. Une piste est ouverte, il faut continuer à reconstruire l’arbre.

généalogie d'ancêtres disparus


JRI-POLAND est alimenté essentiellement par des bénévoles à tous les niveaux d’entraide. Les apports de cet organisme sont multiples : médical (recherche sur la bêta thalassémie, maladie du sang rare chez les ashkénazes), politique (entente multiple entre le Canada et la Pologne), culturel (participation à des émissions télé américaines), juridique (recherches testamentaires), académique (recherches universitaires), psychologique (aide à se construire, offrir une tombe à ceux qui n’en n’ont pas), archivistique (ouverture d’archives et numérisation).


La recherche sur le site est facile, et les entrées sont simples. Vous trouverez un encadré qui vous explique comment faire. L’adresse du site : https://jri-poland.org/

Notice bibliographique de la conférencière : La conférencière a mené une carrière de professionnelle et de gestionnaire pendant quelque 25 ans au sein d’entreprises françaises et québécoises. Parallèlement, elle a mené des activités de recherche dans le monde des archives et de la généalogie. Diplômée de l’Université de Montréal, elle poursuit une maîtrise en sciences de l’information (archivistique). Elle s’intéresse à la problématique des archives dites sensibles et aux conséquences qu’elles peuvent avoir, particulièrement dans le domaine de la généalogie.

Quelles généalogies et quelles archives pour la généalogie aux Comores et à Mayotte ?


Les mondes de la généalogie Colloque international d’Angers

Diffusions et transformations d’une pratique amateur à l’échelle transnationale.
Séance 4 : Les généalogies et les institutions : pratiques, ressources, histoires.


Intervenant : Charly JOLLIVET[1]



Se rendre dans l’Océan Indien, pour un long séjour d’archiviste, c’est ce qu’à fait Charly JOLIIVET. Les Comores sont constituées de quatre îles dont une administrée par la France : ce sont les îles autonomes de Grande Comore (Ngazidja), d'Anjouan (Nzwani), de Mohéli (Mwali) ainsi que Mayotte (Mahore) département français. L’étendue de ces îles est de 2612 Km² pour 813.912 habitants. « Dans cette région du monde où ancêtres et traditions occupent une place prépondérante, quand même l’écrit ne s’est imposé que tardivement, on pourrait s’attendre à ce que la généalogie suscite à minima, un intérêt. Et pourtant, les services d’archives montrent une quasi absence de fréquentation par le public de généalogistes. N’y a-t-il pas de réelles pratiques généalogiques ? »


Des freins multiples existent, la présence de nombreuses îles est le premier exemple, les moyens de transport par la mer, ne rendent pas les choses aisées. La partition des archives résultant de l’indépendance de ces anciennes colonies complique encore la situation. Les ressources d’archives conservées sont modestes et les politiques archivistiques menées peuvent expliquer l’absence de généalogistes.

D’autres freins sont à chercher dans le lourd passé colonial associé à l’esclavage et l’engagisme - l’engagé volontaire, usage apparenté au servage est connu comme la « condition de quiconque est tenu par la loi, la coutume ou un accord, de vivre et de travailler sur une terre appartenant à une autre personne et de fournir à cette autre personne, contre rémunération ou gratuitement, certains services déterminés, sans pouvoir changer sa condition ». Aboli en 1848, il est devenu une forme de salariat des travailleurs natifs des îles. Jusqu’en 1904, il constituait la moitié de la population (Exploitation de vanille, ylang-ylang, girofliers).

Le passé des ces îles dont le peuplement remonte au 7ème siècle, est assez mouvementé et a contribué à constituer une véritable société métissée. Les premiers habitants venus d’Afrique étaient Swahilis de culture bantoue. Plus tard, les échanges commerciaux maritimes avec le Moyen-Orient, en particulier la Perse et le sultanat d’Oman ont apporté la langue arabe et l’Islam dans la région. Les îles ont conservé des contacts avec la côte Africaine et Madagascar toute proche.

Au XVI siècle, les Comores sont fréquentées par les navigateurs portugais des routes maritimes, il s’installe une période de prospérité. Par la suite, de nombreuses rivalités politiques entre les sultans amènent les Comores à s’appauvrir considérablement, il n’y a pas d’unification possible. Règne alors, guerres, razzias, esclavagisme, engagisme.

La période post coloniale s’ouvre à la séparation de Mayotte du reste des Comores, Cette île restera département français alors que l’union des Comores fait partie de la Ligue Arabe (6 juillet 1975). Déchirements, haines résultent de ces fractures.

Pourtant quelques travaux généalogiques sont produits. En ces terres d’Islam la généalogie peut permettre de conférer une forme de prestige, surtout si l’on parvient à montrer que l’on descend d’un prophète et donner un aspect mythique à son origine arabe.
Etablir une généalogie aux Comores ou à Mayotte peut s’avérer très compliqué. La présence de la polygamie et les failles de l’état civil ainsi qu’un système de filiation spécifique rendent les démarches complexes. Le patronyme ne se transmet pas forcément aux descendants.

 Le système de filiation est matrilinéaire[i] uxorilocal[ii] dont le patrimoine est la maison familiale. Il n’y a pas de polygamie dans cette maison. La cellule familiale est simple. La mère met au monde, élève et nourrit ses enfants et marie aussi. La grand-mère élève un enfant, la mère peut également confier un enfant à une sœur ou une belle-sœur stérile.
Les quelques pratiques de généalogies connues, se font sur des forums, où l’on peut essayer de trouver en ligne des renseignements sur les îliens.

La complexité à trouver ses ancêtres est également due à la flexibilité de l’identité d’une personne. La graphie n’étant pas fixée ni en nom ni en prénom, une lignée n’a pas forcément le même patronyme.
Par exemple : 


Lors de la demande d’un acte de naissance supplétif, la commission des jugements supplétifs [iii]met dix ans avant de statuer. Les changements de noms sont très fréquents.

Les archives Comoriennes représentent plus ou moins cent mètres linéaires et 800 m aux Archives départementales. Il y a production d’un triple Etat civil. Les archives se trouvent en France. Les jugements supplétifs rendus par les cadis - Juges musulmans officiant civils se trouvent à Mayotte et sont inscrits dans différentes langues et sont bien explicites.

Finalement, le frein principal est d’avantage l’intérêt des personnes pour la généalogie. Une société en construction en mode survie va-t-elle rechercher ses origines ?




[i] Le système de filiation relève du lignage de la mère, pour la transmission, la propriété, les noms de famille.
[ii] L’habitat uxorilocal est fait dans le voisinage ou dans le village des parents de l’épouse.
[iii] Décision du tribunal qui demande une transcription lorsque celle-ci est inexistante. 





[1] Docteur en archivistique, Charly JOLLIVET est l’auteur de la thèse intitulée : Archives, archivistiques et logiques d’usage dans les territoires issus de la colonie de Madagascar de 1846 à nos jours. Naviguant entre les archives et la recherche, il a notamment été en poste aux archives départementales de Mayotte où des projets de coopération lui ont permis de renouer des contacts avec des archivistes et chercheurs comoriens.

Les associations nationales de généalogistes belges de l’après-guerre à 1970 : parcours d’institutions concurrentes sur la scène internationale.


Les mondes de la généalogie Colloque international d’Angers
Diffusions et transformations d’une pratique amateur à l’échelle transnationale.

Séance 4 : Les généalogies et les institutions : pratiques, ressources, histoires.

Intervenant : Joffrey LIÉNART[1]

« A la fin des années 1930, on assiste à un regain d’intérêt pour la généalogie en Belgique. A la même époque, se forment deux écoles de généalogistes : d’une part, l’école de la généalogie dite « historique », liée à la noblesse, et l’école de la généalogie dite « scientifique », issue des idées germaniques, plutôt réservée à la bourgeoisie. La communauté des généalogistes entre 1911-1914 est très faible.


Pendant la deuxième guerre mondiale, les deux écoles s’institutionnalisent en deux associations nationales : d’abord, en 1942 se crée l’Office Généalogique et Héraldique de Belgique, suivi de près en 1944 par le Service de Centralisation des Etudes Généalogiques et Démographiques de Belgique. Les deux associations s’affrontent à différents niveaux. Elles ont des idéologies et des clients différents pour des sociétés concurrentes.

L’une promeut l’héritage symbolique de la famille comme lignes de conduite pour les descendants. Le club est donc pour la noblesse.

L’autre, la SCGD tente d’apporter des réponses à la décadence sociétale, liée au problème démographique, en tirant des enseignements du passé. Le club est pour la grande bourgeoisie. LE SCGD, dont Joseph JACQUART et quatre confrères se rassemblent dans des restaurant, des cafés, jusque dans les années ’60. Leur but, venir en aide aux généalogistes amateurs sans distinction sociale, philosophique ou raciale. Ils souhaitent la promotion et la centralisation des études généalogiques et démographiques. Ils proposent un centre de documentation, des cours et participent à des expositions.

L’éternel combat de la noblesse contre la bourgeoisie avec des réseaux bien formés. Chacun a des idéologies et des conceptions bien différentes. La fusion est impossible à cause des particularismes.

L’après deuxième guerre mondiale, est marquée par la renaissance de la généalogie. Le contexte politique est favorable, il y a suprématie de l’eugénisme, et une propagande est faite pour la généalogie.

A la veille du boum des années ’70, l’opposition entre la noblesse et la bourgeoisie est toujours bien présente. En 1966-1967 : le prince Alexandre de MERODE, président de l’Office, invite les sociétés généalogiques à se rapprocher et c’est en 1970, qu’est crée la Fédération composée de l’Office, des Archives Verviétoises, de la Société des Bibliophiles liégeois, du Musée de la Dynastie, de l’Association des Demeures historiques, de l’Association des descendants des lignages, etc. 

Quelques mois plus tard, la Confédération internationale comprenant la Belgique, la France, les Pays-Bas, la Suède et la Suisse est créée.  (La SCGD n’en devient membre qu’en 1987). 


[1] Joffrey LIÉNART est diplômé de l’Université Libre de Bruxelles. Dans le cadre de son mémoire de Master, il a réalisé une étude inédite sur le monde des généalogistes belges de 1830 à 1970. Par la suite, il a été archiviste pour les Archives Générales du Royaume de Belgique et pour la Commission Européenne. Il est actuellement doctorant au Centre d’étude des religions et de la laïcité de l’Université Libre de Bruxelles. 

Conceptions communes sur l’identité, l’ascendance et le passé historique dans les pratiques généalogiques nord-américaines contemporaines


Les mondes de la généalogie Colloque international d’Angers

Diffusions et transformations d’une pratique amateur à l’échelle transnationale.
Séance 3 : Nouvelles pratiques de la généalogie et conceptions de la parenté

Intervenant : Caroline-Isabelle CARON[1]


« Depuis une vingtaine d’années au Québec, en Acadie et plus largement en Amérique du Nord, la pratique de la généalogie -et les concepts qui nourrissent ses méthodes et ses représentations- a grandement changé de ce qu’elle était au XXème siècle. Aujourd’hui tout chasseur d’ancêtres dispose d’une large panoplie de ressources électroniques en ligne, s’il a accès à internet …et à une carte de crédit. La prolifération des tests personnels d’analyse ADN a ouvert la voie au retour de la génétique dans la généalogie et aux inquiétudes que ce fait soulève, alors même que l’eugénisme avait heureusement été rejeté en masse au milieu du siècle dernier. L’imaginaire généalogique actuel a des conséquences très réelles sur la création de la mémoire collective dans un contexte où l’ADN est souvent considéré comme plus « fiable » et plus « scientifique » que les documents d’archives. Malheureusement, l’objectivité attribuée à la génétique permet le même type d’erreurs que la gymnastique documentaire privilégiée par moult généalogistes depuis des siècles. A l’instar de Darryl LEROUX et Kim TALLBEAR, on ne peut que constater que la généalogie actuelle au Québec et en Acadie permet de dangereux dérapages. Les questions de la race, du nationalisme de droite et de l’eugénisme font à nouveau voir leurs têtes d’hydre, alors même que de nombreux Acadiens et Québécois s’inventent des ancêtres autochtones pour confirmer la grandeur de leur peuple respectif. »

Nous assistons à une nouvelle période qui est celle de la transformation de la généalogie et des mots ancêtres.  Le généalogiste des années 1890 professionnel ou amateur étaient surtout intéressé par la recherche de noblesse ou de preux et pieux pionnier avec un attrait marqué pour l’ancêtre Anglo-protestant, ce qui montrait une option pour l’eugénisme, l’atavisme d’une bonne naissance.

La deuxième guerre mondiale montre un déclin de cette orientation, et vers les années ’70, on voit apparaitre un tournant vers l’identité de l’ego. La recherche est obsédée par l’ancêtre noble, le grand homme et donc le côté héroïque hérité de ces ancêtres. On se met à rechercher le meilleur ancêtre, par centaines si possible. L’identification se fait par papiers, par communication, on est entré dans une nouvelle période, celle du super héros.

Entre 1900 et 2000, rien n’a changé finalement. Ces définitions sont encore de fait, et pourtant une deuxième vague post deuxième guerre mondiale, s’annonce. Internet envahit les foyers et les gens l’investisse.  Les réseaux sociaux créés vers les années ’90, les bases de données sont de plus en plus en ligne officielles ou privées. En 1996, Ancestry.com (ancestry.fr n’est venu qu’ensuite) a un interface gratuit qui propose à un homme moyen blanc de trouver ses aïeux en quelques secondes. L’échange d’information se fait par les pixels et non plus par le papier, l’approche est donc différente.

Dans cette opération de marchandising en généalogie, l’ancêtre est le produit à vendre, valoriser et il contribue à recruter le plus de clients potentiels. Actuellement Ancestry DNA, la base ADN touche 7.000.000 de clients. L’arrivée sur le marché de MyHeritage et 23andme, contribue à gonfler les chiffres. Fournissant une analyse succincte avec une marge d’erreur, dont on peut en effet trouver l’explication mais en cherchant bien sur leurs sites. Ceux-ci encouragent leurs clients à utiliser leurs objets commerciaux. L’ordinateur individuel semble le moyen trouvé pour solutionner les absences de réponses dans les archives. Le public était dans l’attente de cette généalogie par l’ADN.

Par le passé, l’atavisme était inévitable et les recherches le prouvait sur papier avec un supplément d’âme. Actuellement, l’ascendance est la masse totale de tous les ancêtres révélés par les gênes, il y a donc « vérité scientifique ». L’atavisme est en ego et donc vivant en soi. Il y a affirmation : la science ne ment pas, la saga familiale peut être fausse.

Ces changements sont dus à plusieurs facteurs : Le travail en réseau par la création de bases de données par les utilisateurs avec erreurs et lacunes et absence d’ego. La volonté de retrouver la parenté perdue. L’agrandissement de cette notion de parenté du fait du partage d’ADN. En généalogie descendante, les ancêtres sont des fournisseurs de jeunes.

Un changement s’opère également car les présomptions ataviques sont revenues en force. L’attribut ethnique est recherché pour justifier ses ancêtres. Malheureusement, il s’agit d’une dérive politique, en Nouvelle Ecosse, au New Brunswick et au Québec, des individus de l’extrême droite montante utilise l’ADN pour tenter de prouver l’existence de gênes amérindiens, ceci dans le but d’utiliser les droits ancestraux sur les terres, la pêche. Peu importe comment, ils ont reçu ce bagage génétique, il y a un désinvestissement complet de leurs ancêtres et la saga se construit autour d’une histoire de viol.

Le mode traditionnel de la généalogie qui construisait une histoire a basculé vers: l’histoire c’est construite car l’ADN nous tombe dessus. 





[1] Caroline-Isabelle CARON se spécialise dans l’anthropologie historique de la culture populaire francophone en Amérique du Nord aux 19 et 20èmes siècles. Elle s’intéresse d’une part aux conceptions du futur sous la forme de la science-fiction et de la fan fiction et d’autre part aux rapports du passé sous la forme des commémorations, des légendes et de la généalogie. Elle aspire à approfondir l’encyclopédie collective québécoise et acadienne.

Histoire des centimorgans. Pratiques généalogiques d’adultes conçus par don de sperme en Angleterre

Les mondes de la généalogie Colloque international d’Angers Diffusions et transformations d’une pratique amateur à l’échelle transnationale.
Séance 3 : Nouvelles pratiques de la généalogie et conceptions de la parenté

Intervenant : Anaïs MARTIN[1]

Anaïs présente un sujet particulier qui est celui de la relation par don (de sperme dans cette étude) et la recherche de ses origines que peut initier l’individu conçu par cette pratique. Cette étude fait l’objet de sa thèse.  


Elle nous raconte alors, l’histoire du secret de Jody vivant au Royaume-Unis. A 36 ans, mariée et mère d’un enfant en bas-âge, elle a déjà perdu son père et vient de perdre sa tante, il n’y a plus de survivant de ce côté, c’est alors que sa mère dévoile le secret qu’elle avait promis à son père de ne jamais dire et lui apprend qu’elle est née par donneur dont l’identité restera inconnue. Au moment de la conception de Jody, la pratique courante était basée sur l’anonymat du donneur, dans l’Angleterre des années ’90.  

Jody a déjà fait son arbre généalogique côté maternel et paternel. Cependant, à la suite de cette révélation, elle aimerait trouver le donneur.  Elle s’inscrit alors sur un site de généalogie génétique en ligne, effectue un test ADN pour elle-même et peu de temps après avoir reçu ses données, la page personnelle de Jody pointe vers un utilisateur désigné comme proche parent.

Pour mieux comprendre. Le centimorgan, cM, est une unité mesurant le lien entre deux gênes. Le choix des sites de généalogie en ligne qui proposent des tests ADN pour une somme modique, est tourné essentiellement vers la recherche de correspondances afin trouver des membres de la famille proche, élargie ou très éloignée.



Correspondance ADN


Qualité de correspondance ADN-segment centimorgan
Portion de segments triangulés cM en correspondance

La personne ayant effectuée son test reçoit en retour ses informations mais aussi la liste des correspondances. L’analyse de la qualité des segments va donner un pourcentage de combinaisons et le nombre de segments en communs, selon la qualité de ces éléments l’on peut trouver des individus plus ou moins proches. Le fait d’avoir publié son arbre en ligne aide à faire le point sur les membres des arbres en commun et donc de vérifier les correspondances avec les recherches généalogiques en cours. Il est possible de prendre contact avec la correspondance ADN.


Revenons à Jody, sur ce site la correspondance nommée « matching » lui indique une demi-sœur. Elle entre en contact avec celle-ci qui lui apprend qu’elle-même a été conçue par don. Elles ont donc en commun cet héritage masculin. Mais, elle apprend également qu’elle a un demi-frère à l’étranger. Jody a donc une demi-sœur et un demi-frère. Elle décide de refaire une recherche en ligne mais en clarifiant les besoins et obtient un nouveau résultat -matching.

Et cette fois, elle obtient un matching avec une femme, qui après questionnement, lui dit qu’elle a eut un frère qui a été donneur, ce qui vient étayer les suppositions de Jody. Elle a donc un pourcentage d’ADN en commun avec cette femme qui se trouve être dans la position d’une tante. L’identité du donneur est finalement dévoilée.

Au Royaume-Unis, le mode de conception par donneur basée sur le secret a pris fin en 1991 par une première loi encadrant le don, laissant l’ouverture à des données non identifiables. C’est en 2005 que la loi a permis l’accès à l’identité du donneur.

Chercher ses origines via les sites de généalogie génétique, va-t-on vers une génétisation de l’identité ?



La génétique est au cœur du problème, en effet comme vous avez pût le lire, dans le paragraphe "pour mieux comprendre". Il est nécessaire d’acquérir de nouvelles notions, comme centimorgans, cM, correspondances de segments triangulés etc.
La recherche de ces origines par la pratique de la généalogie, est bien antérieure. L’obtention des outils et des compétences est ancienne.

Jody, affirme ici des notions qu’elle ne maîtrise pas, elle a un choix interprétatif, comme dire cette dame est donc ma tante et son frère le donneur. Il faut savoir que les données transmises par ces sites de généalogie en ligne ne sont que superficielles et il peut y avoir des marges d’erreurs.

Construire un nouvel arbre avec ces résultats ?


Une série de questions se posent en matière de construction généalogique. Comment élaborer un arbre généalogique dans ce cadre ? En effet, dans l’exemple pris ici, qui est représentatif du panel d’individus étudiés, le père et la mère ayant élevé Jody, restent ses parents et le donneur reste un donneur, mais quand même elle lui donne une place. Il n’est pas le parent au sens classique du terme, il est plutôt un choix narratif unique. Jody fait bien la différence, même s’il y a pluralisation des relations. Un même lien sur le papier peut être idéalisé.

La parenté homme = triangle et Femme = Cercle. Jody est indiquée en bleu ainsi que son conjoint et sa fille et aussi sa mère. Son père et sa fratrie est en vert. Le donneur est en gris ainsi que sa sœur et les enfants nés sont en rose, orange et bleu ciel, fratrie de Jody.



NB : En France, il y a toujours interdiction de connaître le donneur. Les Etats- généraux de la révision de la loi sur la bioéthique – entre autres- PMA ont été lancés en 2018. Lire ici 



[1] Anaïs MARTIN est doctorante en anthropologie à l’EHESS et au centre Norbert ELIAS (Marseille). Sa recherche s’inscrit à la suite des travaux sur la pluriparentalités, l’anthropologie du corps, de la personne et du genre. Elle a reçu le second prix du mémoire de la recherche de la CAF en 2016, pour son travail sur le vécu des adultes conçus par le don de sperme en France. Elle est cofondatrice du groupe de recherche EnCoRe (Engendrement, Corps, Relations) et membre de L’ANR Origines coordonnée par Agnès MARTIAL.

De la quête des ancêtres à celle des « cousins ». Transformation de la fabrique généalogique dans la bourgeoisie.


Les mondes de la généalogie Colloque international Université d’Angers 2019


Diffusions et transformations d’une pratique amateur à l’échelle transnationale.

Séance 3 : Nouvelles pratiques de la généalogie et conceptions de la parenté

Intervenant :  BARTHELEMY Tiphaine[1]


« Née dans les milieux aristocratiques et bourgeois de la nécessité de montrer des preuves – de noblesse sous l’Ancien Régime, puis plus généralement d’ancienneté et d’illustration, la généalogie est une pratique constante dans ces monde sociaux tout au long du 19ème et 20ème siècle. On ne s’étonnera donc pas qu’elle le soit restée au 21ème siècle. Toutefois la fabrique notabiliaire de la généalogie c’est profondément transformée du fait du recours à l’outil informatique et aussi par les nouvelles pratiques. Ainsi c’est moins une légitimation par les ancêtres qui en constitue l’enjeu aujourd’hui que l’établissement de liens entre les vivants susceptibles de constituer un réseau de sociabilité et d’entraide, voire de communauté d’habitus. »


Tiphaine BARTHELEMY nous montre l’exemple de « la constitution d’une généalogie et d’un livre de famille pour une famille bourgeoise nantaise dont la constitution montrera comment la pratique de la généalogie c’est vue dépassée par ces « à côté », à la construction d’un légendaire familial succédant l’organisation quinquennal de cousinades, la constitution d’un site web, la rédaction d’un bulletin, le postage d’annonce, la vente d’objets, etc. Ceci servira de départ pour s’interroger sur ce que ces transformations de la pratique disent des processus de reproduction et de mobilité sociale, des usages de la mémoire et des rapports au temps dans un monde social oscillant entre ouverture et maintien de ses frontières ».

A la demande d’un lointain cousin, il lui a été demandé de participer à l’élaboration d’un livre de famille qui avait comme particularité d’être centré sur une généalogie descendante. Ils avaient un ancêtre commun aristocrate et un autre fondateur d’une conserverie. Au fil du temps l’entreprise des navires fût vendue et dans les années ’80 la conserverie fût reprise par une autre conserverie.

Dans cette famille, il y avait une mémoire orale particulière aux généalogies bretonnes, qui peut s’étendre sur cent à deux cents noms de personnes, mais sans pouvoir être vérifiée. Il restait toutefois la persistance de l’aristocratie et de la bourgeoise au XIVème siècle avec une mixité assez répandue dans ces deux sections. La généalogie des maisons (lieu d’habitat) permettait d’organiser la mémoire familiale autour des cousinades.

La rédaction de l’ouvrage avait été demandé par les plus anciens de la famille, à la suite d’un questionnement, comment conserver toutes les données dans la mémoire des enfants ? Lors de la construction de l’arbre, la recherche d’informations a été nourrie par eux-mêmes mais surtout par les alliés (les « rapportés » dans le langage courant). Il n’y avait pas de demande de différenciation sexuelle dans l’élaboration du livre. Ce point est à garder en mémoire car nous verrons plus loin comment au fil du temps, c’est construit cette famille. La liste de descendants est devenue un annuaire où l’on trouve le nom, l’adresse et la profession de chacun.

Une fois l’arbre construit, l’expertise de Tiphaine BARTHELEMY a permis de réaliser plusieurs tableaux :    
  • Une pyramide des âges établie sur 7/8 générations. La répartition géographique, grâce aux possibilités qu’offre l’outil : Geneanet 
  • Un tableau sur plusieurs siècles, des mariages et la fécondité par ménage, les décès en bas âge, ou par guerre, le nombre de religieux.ses, de célibataires. (Une parenthèse est établie ici, car on s’aperçoit que l’on met le mariage en valeur et qu’il n’existe pas de case pour des personnes homosexuelles, elles sont considérées comme célibataires, alors même qu’elles peuvent vivre en couple.)
  • Un tableau des catégories socioprofessionnelles a également été construit.

Cette étude généalogique moderne est assez différente de ce qui avait l’habitude d’être construit antérieurement.  En effet, un armateur nobiliaire, des années 1860 a choisi une construction d’arbre selon sa maison, de façon patrilinéaire et en pointant la transmission par la primogéniture. Les femmes, restent souvent au cœur de cette mémoire, par l’écriture d’un livre de souvenirs, « comment je vivais en 1900 par ex. »   L’homme fait l’arbre et ne représentent les femmes que si des parts de leur héritage sont absorbées dans l’arbre patrilinéaire, ceci essentiellement pour une question d’apport de terres, d’activités entrepreneuriales - conserveries ou sylvicoles.

Il se dessine alors, un genre d’entonnoir dans lequel, elles viennent s’absorber.

Armateur 1860 Source T BARTHELEMY


Les alliés restent en dehors de l’arbre, comme les filles et les descendantes. Les descendants alliés sont notés s’ils s’inscrivent dans un esprit d’entreprise et ont donc une valeur d’apport financer. C’est cet élément qui donne la raison au fait que les descendantes féminines ne sont pas renseignées car elles font sortir la richesse pour la mettre dans un autre lignage.  Ainsi qu’il est décrit sur cette pyramide. Les porteurs masculins de nom montre qu’ils sont issus à 80% de la bourgeoisie et à 20% de la noblesse, les femmes sont représentées par moitié-moitié.


Source T BARTHELEMY


Nous nous retrouvons ici avec deux modèles de généalogie anciens: 
  • La généalogie des descendants nobiliaires. Dont un pourcentage fait appel au passé, par l’exhortation au titre, le passé s’impose donc.
  • La généalogie des donneurs d’épouses (Alliés)

L’annuaire qui a été construit est tourné vers le présent puisqu’il inclut tous les descendants. Parmi ceux-ci, les détails de catégories socio-professionnelles permettent de voir qu’il y a une continuité d’habitus religieuse et politique initiées par les ancêtres.

Entre mémoire orale, saga familiale et faits réels. Comment la mémoire s’arrange avec la réalité.

Dans la généalogie à l’ancienne élaborée grâce à la mémoire orale essentiellement, il y a des armateurs nantais, qui ont participés au commerce triangulaire du marché d’esclaves avant la révolution. La saga familiale ne nie pas ce fait mais l’histoire est édulcorée par l’anecdote d’un navire qui coule et dont les esclaves parviennent à se libérer, ce qui permet d’en alléger la cruauté. Or parmi les jeunes descendants certains se sont tournés vers le travail dans l’humanitaire et lors d’une visite du Mémorial de Gorée (Sénégal)  ils ont trouvés leur nom inscrit parmi les responsables de cette traite, venant donner confirmation à cette saga.

En conclusion, l’élaboration de cet annuaire à permit aux nombreux descendants d’avoir leur mémoire écrite, cette fois. Beaucoup d’activités ont été entreprises comme un rassemblement familial, un site web, une boutique proposant des objets mémoriels, tournés vers la chasse et la conserverie. Ce livre est en constante évolution car les naissances sont ajoutées au fil du temps. Il a permis de créer une mémoire collective familiale. 





[1] Tiphaine BARTHELEMY, anthropologue est professeur à l’Université de Picardie Jules Verne, CURAPP-ESS. Elle a travaillé sur les partages successoraux égalitaires et les modes de reproduction sociale des agriculteurs du centre de la Bretagne, puis sur les principes hiérarchiques à l’œuvre chez les grands propriétaires fonciers. 

Enjeux de transmission : apprentissages de la généalogie aux enfants et aux jeunes en France.


Les mondes de la généalogie  Colloque international  2019 Université d’Angers


Diffusions et transformations d’une pratique amateur à l’échelle transnationale.

Séance 2 : Faire et transmettre sa généalogie : statut et enjeux des connaissances.

Pascal MULET[1]
L’émergence populaire de la généalogie en France à vue naître depuis la fin des années 1980, l’émergence de l’apprentissage de la généalogie aux enfants dans le cadre scolaire. Des ateliers se sont organisés dans le cadre scolaire et périscolaire, animés par des enseignants de différentes, matières, des bénévoles, des associations de généalogistes ou des animateurs d’archives départementales.


Ces ateliers autour de la généalogie par, pour, avec des enfants et de jeunes animés par des adultes sont des moments de transmission des outils, des savoirs faire et des cadres cognitifs.
Il y a divers modes de transmission qui se fait à partir de documentation délivrée par le niveau national. 
  •  Généalogie à l’école avec à la clé l’obtention d’un d’diplôme de généalogiste, la participation à un congrès, une table ronde. 
  • Par des associations thématiques qui présenterons un thème par l’intermédiaire d’un jeu de société, la visite de salon de généalogie…
  • Par des animations périscolaires avec l’aide des archives départementales, sous forme de visites découvertes proposées par le service éducatif.

Tout au long du parcours scolaire soit de la maternelle au lycée cette activité est proposée de façon imposée pour les plus petits ou de manière libre pour les plus grands sous forme de club de généalogie.

Il y a une grande diversité d’activités et de pratiques. Après celle proposées ci-dessus on trouve une autre approche qui est plus tournée vers le développement, le droit personnel et la psycho généalogie. Cette façon de faire vient mêler d’autres cours à ces activités, comme ceux d’histoire, de français ou de mathématiques.

Le discours adressé aux adultes non-initiés ou non passionnés de généalogie, nécessite un outil de cadrage par un lien explicite. En ne faisant que la généalogie ascendante sur trois générations, on obtient rapidement un arbre.  Si cette chose permet d’aller vers un acte simple pour un enfant possédant tous ces parents et grands-parents, elle est probablement plus malaisée pour un enfant auxquelles il manque, un ou des parents. La réponse préétablie est donc de dire, qu’il existe ou a existé et que l’on va lui faire une case qu’il pourra la compléter plus tard.

La variété des méthodes d’approche, permet de créer une conscience d’appartenance à une famille et également de se poser dans un schéma culturel.






[1] Pascal MULET est docteur en anthropologie sociale, postdoctorant à l’Université d’Angers (Programme EnJeu(x), TEMOS, CNRS, FRE )Il mène une recherche sur la généalogie amateur par mobilisation d’archives, l’apprentissage de la généalogie aux jeunes et aux enfants, et sur les rapports ordinaires aux archives en France. Il a publié en 2018 : Des lieux appropriés. Economies contemporaines dans le Haut-Atlas (éditions Rue d’Ulm), et continue de faire des recherche dans ce territoire.

Des généalogies ordinaires à une théorie de la transmission


Les mondes de la généalogie   Colloque international Université d’Angers 2019

Séance 2 : Faire et transmettre sa généalogie : statut et enjeux des connaissances

Maylis SPOSITO-TOURIER[1]

Que peut apporter l’analyse de généalogies ordinaires dans l’appréhension de mobilité professionnelles et de transmissions familiales ? Cette méthode a été utilisée afin d’étudier la trajectoire de 27 individus, soit 8 hommes et 19 femmes entrepreneur.e.s, s’étendant  sur quatre générations parfois cinq et de recenser l’ensemble des membres de la famille y comprend les alliés. Les femmes ont répondu majoritairement à la proposition d’associer leur étude généalogique à leur trajectoire.  La comparaison systématique des arbres a permis d’analyser la manière dont s’agencent les liens -entre ascendants, descendants et collatéraux- et se transmettent les biens- professionnels et symbolique au sein de la cellule familiale ».

Il a été constaté que pour la circulation des entreprises, la transmission se faisait pratiquement tout le temps du père vers l’aîné de la famille ou à la benjamine à qui il a été demandé de quitter son travail pour reprendre l’entreprise familiale. Si c’est la mère qui est à la tête de celle-ci, le transfert se fait pratiquement tout le temps vers le fils.

On a pu remarquer en analysant tous les acteurs de l’arbre, que ce caractère d’indépendance est un ethos (habitude, manière d’agir) qui mène à la disposition des membres de la famille vers l’entreprenariat. Donc on peut voir des fondateurs d’entreprises l’ayant transmises sur plusieurs générations masculines. Lorsqu’il s’agit de descendantes filles, il s’agit souvent des aînées de fratrie.

Revenons à la transmission par le père de l’entreprise, on s’aperçoit que souvent les filles sont mises à l’écart, dans la famille, elles sont dépossédées par les frères. Et si les parents n’ont que des filles, il est tout à fait possible qu’il y ait une rupture de la transmission.

Grâce à l’utilisation de cette méthode de généalogie, l’arbre a été coconstruit avec un investissent personnel des entrepreneurs, ce qui a permis d’aller au-delà de la relation de questionnement simple des vivants et a permis de renvoyer à de multiples données. Les personnes ayant collaborées à la construction de l’arbre avaient la connaissance que dans la famille, élargie ou non, il y avait d’autres entrepreneurs mais ne l’avait pas visualisé comme on peut le faire après avoir monté un arbre. Beaucoup ont été très surpris de découvrir cet aspect.

Elle a permis de comprendre la trajectoire de transmission et les modalités de celle-ci. Elle a également permis de comprendre les créateurs d’une nouvelle entreprise dont la procédure se révélait différente dans la transmission, l’action de création, permettait de faire une économie de don.

Pour conclure, à la lecture de l’arbre, on visualise comment les liens de transmission se sont agencés. 



[1] Maylis SPOSITO TOURIER est docteur en sociologie et ingénieure de recherche au laboratoire de sociologie et d’anthropologie de l’université de Bourgogne Franche-Comté. Ses travaux de recherche portant sur la transmission intergénérationnelle (des entreprises, de l’ethos indépendant, des exploitations agricoles, des représentations, des savoirs…) par le biais d’une approche socio-anthropologique.