T comme Terreur: 26 lettres pour un Généavoyage



T


Comme terreur. Tic-tac tic-tac tic-tac faisait la pendule, la peur peu à peu envahissait l’enfant couchée au fond de son lit. Tic-tac, tic-tac, résonnait le son du balancier, les draps de coton, devenaient glacés, enroulaient l’enfant tels un linceul. Le bruit cadencé augmentait peu à peu dans le caisson de bois de l’horloge. L’enfant hurla de terreur ! Si violemment que tous les adultes se précipitèrent dans les escaliers pour parvenir au plus vite à la porte de sa chambre. 

Cachée dans ses couvertures de laine, sous le lourd édredon de plumes, elle espérait devenir invisible. Ne plus entendre ce son, ne plus entendre le cri qui allait suivre. Un cri effroyable, résonnait toutes les nuits, depuis bien avant sa naissance. On essayait de la réveiller, mais le mauvais rêve avait encore trop d’emprise sur elle. 

Tic-tac, tic-tac, le son s’alourdissait, devenait martèlement sur le sol. Les bottes, le bruit des bottes à la porte de la maison. Il faut qu’ils continuent leur route. Pourvu, pourvu qu’ils ne s’arrêtent pas ! S’ils s’arrêtent, on est fait !

Tic, tac, tic, tac, la cadence, HEILI, HEILO, HEILA la, la, la. Le cri arrive, celui de la grand-mère de la petite de cinq ans. La guerre est finie depuis bientôt vingt ans mais toutes les nuits se répète le même cauchemar qui envahira toute la maison et ses habitants. 

Cette nuit-là, ils ont arrêtés l’horloge à balancier, jamais plus elle n’a fonctionné. Cette nuit et toutes les autres nuits depuis le cauchemar de l’enfant, la grand-mère a continué d’hurler de peur. L’effroi la prenait alors que les allemands étaient partis depuis bien longtemps. Au cinéma d’en face, on jouait « La guerre des boutons ». Le jour, elle et la petite souriaient, faisaient la cuisine, jardinaient. L’enfant grandi et au cinéma d’en face on joua « Love Story ». 

Dès les ténèbres, le martèlement des bottes revenait suivi du terrible cri. Toutes les nuits, toutes ces nuits cette gorge exprimait ce hurlement. Onze mille trois cent quinze cris dans la nuit, dont la seule raison de s’éteindre fût une grande et grave maladie. Le cœur…

Comprenez-vous, ce cœur qui a eu si peur, qu’il n’a pu supporter de vivre encore ce réveil en sueur ? Il finit un jour par réclamer un peu de paix, alors, le cri cessa, la grand-mère vécu encore, une vie en suspension. Très calme, avec interdiction de faire des efforts. Interdiction de marcher trop vite, de bouger, de presque respirer. La terreur avait laissé place à un immense silence, car la toute savante autorité médicale lui autorisait à peine de vivre, sous peine de mort. Un grand repos souvent alité lui avait on recommandé !

Qui à ce moment pensa que l’immobilité dans lequel ils la plongèrent était peut être pire que le mal dont elle souffrait ? Empêche-t-on les gens de penser, même si c’est une prison dorée ?  Alors, très affaiblie la grand-mère posa la prière pour tous ceux qui souffraient. Elle fit preuve d’une ferveur étonnante. D’une puissance rayonnante. Même le jeune séminariste trouvait du réconfort chez son ouaille. On venait la visiter de loin, elle trouvait toujours un mot pour réconforter l’autre. 

La petite grandi, elle se souvenait des cris d’horreur et se plia au rythme de vie de sa grand-mère qui ne vécut plus qu’à peine. La guerre avait laissé une balafre immonde dans le cœur de cette femme. Qui ne fit aucun reproche à aucun de ces allemands qui venaient pourtant la visiter chaque nuit. Elle savait que la plupart n’avait rien à voir avec les volontés des responsables de cette boucherie. La paix, disait-elle à sa petite fille, il n’y a rien de plus importante que la paix !

Elle s’éteignit très menue et lors de ses funérailles, étonnamment toutes les nefs de l’église furent remplie de monde. Alors qu’elle ne sortait plus depuis quinze ans. Les grandes orgues résonnèrent comme pour  effacer les pas cadencés qui l’avaient tant fait souffrir.  Le plus bel Ave Maria rebondi sous la nef centrale. Cette belle âme s’éleva par-dessus toutes les personnes qu’elle avait aidées d’une prière. 

Au cinéma d’en face, on jouait « Out of Africa ».

2 commentaires:

  1. Bravo et merci pour ce beau texte très émouvant...
    Elise

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    1. Merci Elise, tout simplement, un commentaire fait toujours chaud au coeur.

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